Musée virtuel du Canada

ENTREVUE DE DOLORS PLANAS
et STÉPHANIE HAMELIN
Texte intégral

DOLORS PLANAS

Depuis que je suis arrivée au Québec il y a quelques années de ça, j’ai trouvé que c’était un paradis. En été, il y avait beaucoup d’oiseaux, il y avait beaucoup d’animaux. C’était vraiment un paradis. Mais, à un moment donné ce paradis, toutes les plantes, les algues qui sont sur les plantes, ce qu’on appelle le biofilm, on s’est rendu compte qu’à cause du transport des contaminants dû à l’action de l’homme sur toute la biosphère, ils étaient peut-être un danger pour la vie animale et végétale. Et notre intérêt a commencé comme ça. On s’est posé la question. Est-ce que toute cette nourriture qu’il y a ici pour le poisson, les oiseaux, les rats musqués, les autres animaux qui vivent dans l’eau, est-ce que finalement c’est un poison pour ces organismes? Alors, c’est ça la question qui nous a motivés à aller voir un peu plus de près. Qu’est-ce qui se passait au niveau de toutes ces grandes masses de plantes et d’algues associées à ces plantes, qui attiraient tellement d’oiseaux pendant l’été et des autres animaux ? Alors, c’est pour ça qu’on a commencé à travailler sur un des contaminants qu’on savait présent dans le lac Saint-Pierre. C’était le mercure. Et, comme on savait aussi, parce que auparavant, avant de travailler dans les années 2000 au lac Saint-Pierre, on avait travaillé au lac Saint-François déjà dans le passé. On savait que les plantes aquatiques et les algues peuvent accumuler beaucoup de contaminants.

Dans le cas du lac Saint-François, on a trouvé qu’il y avait beaucoup d’accumulation de BPC, de ces contaminants organiques associés aux industries de la zone de Cornwall et des États-Unis. On voulait savoir est-ce que comme on a trouvé avec les BPC que les plantes finalement sont capables d’accumuler des contaminants qu’il y a dans l’eau mais aussi accumuler les contaminants qu’il y a dans les sédiments parce que les plantes aquatiques comme un arbre, comme les herbes qu’on a dans notre jardin, comme le gazon, elles ont des racines et ces racines peuvent absorber ces contaminants des sédiments ? Une autre question c’est: est-ce que toute la contamination qu’il a pu y avoir dans le passé de mercure dans le lac Saint-Pierre est-ce que les plantes le pompent? Est-ce qu’elles l’absorbent? Et aussi une autre question qu’on s’est posée c’était:est-ce que ces algues qui sont associées aux plantes sont capables de transformer le mercure le mercure qui est sous forme minérale en mercure toxique? Le mercure qu’on appelle méthylmercure. Elles sont capables de transformer ce mercure minéral en méthylmercure.Alors, c’est ça la question qui nous a amenés à travailler au lac Saint-Pierre. Là, j’ai eu trois étudiants gradués, une à la maîtrise et deux au doctorat, qui ont travaillé sur cette problématique, sur l’accumulation de mercure par les plantes et par les algues qui sont accrochées sur ces plantes, la transformation de ce mercure dans la forme toxique de méthylmercure.

Après, quand ces algues ou ces plantes vont être mangées par des herbivores, ils vont aussi… Il va passer au corps des herbivores. Et après chaque fois qu’on passe,… qu’un animal mange l’autre,…chaque fois la concentration… Pas seulement le mercure passe d’un niveau trophique à l’autre, mais aussi il augmente. Mettons qu’une plante a 1 gramme de mercure, OK, alors ces animaux, les animaux, les herbivores, les escargots, les petites crevettes qu’on voit quelquefois parmi les plantes, ils vont manger ces algues ou ces plantes aquatiques. Alors là, son niveau il va augmenter parce que au fur et à mesure qu’ils mangent, ils ne l’éliminent pas. Alors, il peut augmenter jusqu’à 5000 fois au cours de la vie d’un petit herbivore la concentration de mercure. Ça après, si ces petits herbivores sont mangés par une perchaude, alors encore la concentration chez la perchaude par rapport à celle des escargots qu’elle a mangés ou les crevettes qu’elle a mangées elle va augmenter encore de 1 000 à 10 000 fois. C’est comme ça que lorsqu’on arrive aux poissons prédateurs comme le doré ou le brochet alors là, on trouve déjà qu’ils en ont accumulé tellement que c’est vraiment comme si on les avait empoisonnés avec de grandes quantités de mercure. Et, si l’homme les mange, il peut y avoir des conséquences toxicologiques très très importantes.

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STÉPHANIE HAMELIN

Sur cette affiche-ci, ce sont les résultats de ma thèse de doctorat que je fais avec comme directrice Dolors Planas qui est ici et Marc Amyot qui est mon co-directeur à l’Université de Montréal. Donc, moi ce qui m’intéressait c’est d’aller voir déjà… On parle des plantes aquatiques et des algues comme étant la nourriture des autres maillons de la chaîne alimentaire dans le lac Saint-Pierre. Donc, on voudrait savoir si ces plantes et ces algues sont contaminées en mercure ou pas. Et lesquelles le sont plus que les autres. La première chose que j’ai faite, c’est que je suis allée échantillonner. On voit ici les plantes aquatiques. Et j’ai échantillonné aussi le biofilm, donc la couche d’algues qui poussent sur ces plantes aquatiques. J’ai essayé de voir les concentrations en mercure qu’il y a dedans. Donc, pour vous donner un exemple, ici dans ce graphique-là, ce qu’on voit ce sont des concentrations en mercure. Ici par exemple, la grosse barre ça serait le biofilm et ici la petite barre ça serait la plante elle-même, la grosse plante aquatique. Alors, on voit que si vous comparez… On les compare toujours deux à deux. Donc, ça c’est le biofilm et ça c’est la plante aquatique.

On a toujours à chaque fois environ dix fois plus de mercure dans le biofilm qui est sur la plante que dans la plante elle-même. Donc, au point de vue contamination pour un organisme qui voudrait en manger, c’est plus dangereux entre guillemets de manger le biofilm que de manger la plante. C’est la glue-glue verte qui pousse sur les plantes aquatiques. Donc, ça c’est ce que j’appelle le biofilm ou le périphyton. Vous avez peut-être entendu ce terme-là. En fait, c’est une matrice qui comprend en grande majorité des algues mais aussi des bactéries, des champignons, des détrit. Donc c’est ce qu’on voit souvent quand on marche dans des petits ruisseaux. On voit de la petite mousse verte sur les roches. En fait, c’est pas de la mousse, c’est un biofilm d’algues. Et c’est la même chose qu’on retrouve ici sur les plantes aquatiques du lac Saint-Pierre. C’est quelque chose de naturel. C’est même bon pour un écosystème d’en avoir parce que justement c’est la base de la chaîne alimentaire. S’il n’y en avait pas, à quelque part, on manquerait de nourriture dans le lac. Il y a certains insectes qui vont se spécialiser à manger juste le biofilm.

Il y a certains autres insectes qui vont se spécialiser à manger juste la plante. Là je parle d’insectes parce que c’est le maillon qui va se trouver au-dessus, le benthos. Après, il y a les poissons qui vont manger ça. En général, on a plus de mercure dans nos biofilms au début de l’été, mai, juin, juillet et après ça se stabilise un peu. La station où j’ai le plus de mercure c’est celle en orange qui est la Giraudeau. C’est la station ici sur la rive nord. Donc, c’est lié probablement aux apports mais aussi au fait comme on disait tout à l’heure que l’eau est plus acide. Donc, le mercure est peut-être plus disponible pour entrer dans les plantes et dans les algues. Par contre ce qui est intéressant, on vous a dit tout à l’heure que le mercure c’est une chose mais il y a plusieurs formes de mercure. Une des formes qu’on appelle les plus toxiques est le méthylmercure. Donc, il passe d’un état., on va dire du mercure ionique, celui qu’on retrouve dans l’air, qui est transformé en méthylmercure, donc en mercure organique qui lui est plus toxique, qui va se bioaccumuler, se bioamplifier. Donc, j’essayais de voir la proportion de ce mercure-là, le mercure plus toxique que je retrouvais dans mes plantes. Ce qu’on voit, c’est que cette proportion en méthylmercure est beaucoup plus importante dans la station BSF Baie Saint-François qui est ici sur la rive sud. Donc, le mercure le plus toxique c’est là qu’on le retrouve. Pourquoi? Parce qu’on a beaucoup d’apports agricoles, de phosphore, d’azote, qui vont amener de l’engrais aux plantes et aux algues. Donc, elles vont proliférer. Elles vont être métaboliquement plus actives. Et à ce moment-là, elles sont plus à même d’effectuer cette transformation du mercure à un mercure plus toxique.

C’est un poster de William qui est un étudiant à la maîtrise de Dolors qui a terminé maintenant. Il a utilisé les données de mercure et de méthylmercure de ma thèse de doctorat, des analyses que j’ai faites. Il a essayé d’extrapoler à la grandeur du lac Saint-Pierre pour voir comment en fonction de la biomasse des plantes… Comment le mercure pourrait être distribué dans le lac ? Donc, en gros, c’est le résultat de ses études. Comme on peut voir sur la carte ici, les zones qui sont les plus rouges ce sont les zones où on pourrait retrouver le plus de mercure. C’est surtout relié à la biomasse des plantes qui est beaucoup plus grande dans ces zones-là.