Musée virtuel du Canada

ENTREVUE DE PIERRE MAGNAN
Texte intégral

En fait, l’intérêt de travailler au lac Saint-Pierre c’est que c’est un milieu qui est très productif même qu’on pourrait qualifier d’hyperproductif parce que la profondeur moyenne est d’environ trois mètres. Donc, la lumière va pénétrer partout et la lumière est à la base de la productivité aquatique. Donc, ça en fait un milieu qui est très productif. On dit même que le lac Saint-Pierre c’est à la fois le garde-manger du fleuve Saint-Laurent. Ce sont ses poumons parce qu’il a un grand pouvoir d’épuration et de réoxygénation de l’eau à travers les herbiers. Et ça sert aussi de reins du fleuve Saint-Laurent parce qu’il va filtrer beaucoup l’eau qui arrive de la ville de Montréal et qui s’en va vers Québec. Donc, c’est un milieu qui en étant très productif, très riche, contient beaucoup d’organismes vivants autant végétaux qu’animaux et donc on parle du plancton jusqu’aux poissons. Et c’est une des zones les plus productives du couloir du fleuve Saint-Laurent. Ça en fait un milieu de très grande biodiversité et aussi un milieu qui est très intéressant à étudier.

On a remarqué des changements assez importants au niveau des populations de poissons en particulier chez la perchaude qui a été capable de soutenir une exploitation commerciale pendant plusieurs décennies. Et c’est quand même important pour un lac qui a 350 km2. On pouvait supporter ou soutenir une exploitation d’environ 200 tonnes métriques de perchaudes par année, ce qui est très important. C’est plus que le lac Ontario à lui seul. Ce qui dénote en même temps sa grande productivité. Et pour des raisons qu’on a identifiées au milieu des années 90, la population a commencé à diminuer. Il y a eu un effondrement du stock de perchaudes, de la population exactement comme on a assisté avec la morue dans les provinces Atlantiques. De 1994, on est passé de 200 tonnes par année et en l’espace de cinq ans on a baissé jusqu’à 55 tonnes par année. Et, donc aujourd’hui, la pêche commerciale a été presque complètement arrêtée sur le lac Saint-Pierre. On n’est pas encore en mesure de dire que la population est en train de se reconstituer parce que ça va prendre un certain temps. Mais c’est un sujet sur lequel je travaille avec mes collègues du ministère des Ressources naturelles et de la Faune. En fait, actuellement cette question-là, « Est-ce que les changements sont irréversibles? », la question est très intéressante parce que le train de mesures qui a été appliqué pour protéger la population de perchaudes suite à l’effondrement du stock s’est produit en deux grandes phases. Donc, il y a eu un rachat des permis de pêche commerciale de la part du Gouvernement de 45 qu’ils étaient en 1994 à 23 au tournant des années 2000. Et, nos modèles prédisaient que la population devait commencer à se reconstituer dans les trois à cinq années qui ont suivi ce premier rachat très important des permis de pêche commerciale. Et nos études ont démontré qu’il n’y avait pas d’amélioration des populations de perchaudes cinq ans après cette première phase de mesures très importantes. Et donc, ça nous dit que le lac Saint-Pierre nous envoie un signal. Il n’est plus capable de supporter une exploitation aussi importante que celle qu’on a connue dans les années passées. Donc ça… Et là maintenant, il y a eu une deuxième phase de rachats de permis. Il ne reste plus que trois pêcheurs commerciaux sur le lac Saint-Pierre. C’est important qu’on en garde quelques uns ne serait-ce que pour montrer aux générations futures quel patrimoine culturel on avait développé au lac Saint-Pierre. Ça faisait partie de notre patrimoine culturel la pêche commerciale. Mais, à toutes fins pratiques, il ne reste plus de pêche commerciale. On espère bien voir une amélioration de la population de perchaudes dans les années qui viennent. Parce que là, nous osons croire qu’avec cette diminution importante, on passe de 200 tonnes par année à presque rien, on espère que la population va montrer des signes d’amélioration au cours des prochaines années. Donc, est-ce qu’il y a des choses qu’on peut faire pour remédier à cette situation-là?

On a différentes hypothèses pour expliquer l’effondrement du stock de perchaudes. Mais parmi les choses sur lesquelles on peut agir, il y a certainement l’agriculture intensive dans la plaine du Saint-Laurent qui nous apporte des quantités massives d’éléments nutritifs. Et donc, ça vient débalancer les chaînes trophiques qu’on retrouve dans le lac Saint-Pierre. Et c’est susceptible d’avoir des effets sur l’équilibre qu’on a au niveau de la productivité aquatique et populations de poissons. Une autre hypothèse que l’on a… Ce ne sont pas des choses qui sont vérifiées. Il y a toute la question de l’usine d’épuration des eaux de la ville de Montréal qui nous envoie des eaux usées qui ne sont pas encore complètement épurées et qui ne sont pas désinfectées non plus. C’est un grand défi de la prochaine décennie pour tout le monde. Ce n’est pas de mettre la Communauté urbaine de Montréal au banc des accusés. Ils le savent. Ils essaient de trouver des solutions à cela. Ça sera certainement un des grands défis pour la prochaine décennie. Ce sont deux facteurs sur lesquels on peut agir. Parmi les autres hypothèses, il y a les variations dans les niveaux de l’eau du fleuve Saint-Laurent. On a connu des variations très importantes au cours des dernières années. Une des capacités de production du lac Saint-Pierre se produit au printemps lorsqu’on a la crue des eaux. Ça crée une immense plaine de débordement, une plaine d’inondation à l’intérieur de laquelle beaucoup d’espèces vont aller se reproduire, vont aller frayer à travers les joncs, à travers les plantes aquatiques. C’est en grande partie ce qui explique la grande productivité aquatique du lac Saint-Pierre. Lorsqu’on a une diminution du niveau de l’eau. Lorsqu’une année est moins pluvieuse, est plus sèche chaque centimètre d’eau de pluviosité que l’on perd va se répercuter en plusieurs dizaines de mètres carrés de perte d’habitats de reproduction. Donc ça c’est une cause sur laquelle on n’a pas beaucoup de contrôle. Mais, il y a quand même des possibilités. Il y a un contrôle du débit du fleuve qui se fait en amont. On a une certaine capacité d’intervenir et on devra essayer d’intervenir à ce niveau-là dans le futur. Et après ça, il y a très certainement les changements climatiques qui auront un effet sur les niveaux de l’eau dans le fleuve Saint-Laurent. Et on parle selon les modèles des cinquante prochaines années qu’il pourrait y avoir une diminution de un mètre des niveaux de l’eau à la hauteur de Montréal, ce qui pourrait se répercuter de façon dramatique dans le lac Saint-Pierre. Donc, on va souhaiter que ces prévisions-là soient les plus sombres et qu’elles ne vont pas nécessairement se réaliser.

Donc, le Lampsilis, c’est un navire de recherche que l’on a obtenu, l’Université du Québec à Trois-Rivières avec cinq universités québécoises, qui nous a donné une extraordinaire plate-forme de recherche. Il est équipé avec les appareils qui sont à la fine pointe de la technologie. C’est vraiment un navire de 25 mètres de long par 7 mètres de large qui a un tirant d’eau très faible qui nous permet d’aller justement dans les plaines d’inondation comme le lac Saint-Pierre, dans les lacs fluviaux, lac Saint-Pierre, lac Saint-Louis. Il nous permet d’avoir accès à des zones et aussi de pouvoir faire des recherches qu’on ne pouvait pas faire avant. En fait, les recherches que l’on fait à bord du Lampsilis touchent toutes les recherches qui sont faites par les chercheurs québécois, de la qualité de l’eau jusqu’aux poissons.  Parce que les appareils que l’on a à bord du Lampsilis sont très sophistiqués. On a deux laboratoires à l’intérieur du Lampsilis. On peut accommoder douze personnes à bord pour des séjours plus longs. Ça nous permet de faire une panoplie de recherches. À titre d’exemple, sur les poissons, on n’avait jamais chaluté dans le couloir fluvial parce qu’on n’était pas équipé de chaluts ou d’appareils qui pouvaient nous permettre de le faire. Maintenant, on est aussi bien équipé que les navires océanographiques qui vont en haute mer. Donc,… Mais c’est un navire qui est conçu pour la portion eau douce du fleuve Saint-Laurent et qui nous permet justement d’étudier cette portion de façon très détaillée.