Le lac Saint-Pierre, c’est le plus grand territoire de milieux humides non morcelés qui persistent encore sur le Saint-Laurent. C’est probablement le lieu qui ressemble le plus à ce que le fleuve avait l’air quand Jacques Cartier est arrivé il y a 400 ans et plus.
Si on compare la superficie de milieux humides au lac Saint-Pierre, c’est équivalent ou supérieur à la somme des milieux humides qui sont présents du côté canadien de n’importe quel des cinq Grands Lacs. La différence avec les milieux humides des Grands Lacs, c’est que dans leur cas ils sont restreints aux seules embouchures des tributaires et à certaines bandes dans des milieux isolés ou dans des endroits qui n’ont pas été empiétés par les activités humaines. Alors ça fait une somme de très petits milieux humides. Alors que dans le cas du lac Saint-Pierre, on a un immense habitat qui n’a pas été morcelé et c’est extrêmement important du point de vue de la survie d’espèces en danger et du maintien des populations animales en général.
Les plantes aquatiques, c’est ce qui donne la structure à l’habitat. Ça sert de refuge et de protection pour une foule de petits organismes qui vont des invertébrés microscopiques jusqu’aux larves de poissons, jusqu’aux poissons adultes. Ça sert aussi à supporter la nourriture de tous ces organismes-là parce que ça pousse sur les plantes. Et ça contribue aussi à la chaîne alimentaire lorsque les plantes meurent et deviennent des détritus qui sont utilisés par d’autres organismes. Alors les plantes c’est essentiellement l’architecture de base qui caractérise les habitats qui supportent tout le reste. Alors, si vous enlevez les plantes aquatiques d’un milieu, ce milieu-là perd sa richesse. Et c’est très très rapidement perçu. Aussitôt qu’on élimine les macrophytes aquatiques, ça devient autre chose.
Il y a plusieurs changements qui ont eu lieu. Malgré le fait que ça persiste et que ça reste un milieu important, on a des impacts importants des activités humaines. On a de l’agriculture qui est apportée par les tributaires comme cette rivière-ci. Vous voyez la qualité de l’eau laisse beaucoup à désirer. Il y a énormément d’érosion. Il y a énormément d’apports d’éléments nutritifs qui proviennent en particulier des cultures le long des rives. Vous avez un exemple ici avec un champ de maïs qui arrive carrément jusqu’au bord de la rivière.
Au lac Saint-Pierre, on a des magnifiques villages sur pilotis qui sont adaptés aux variations de niveaux et qui font en sorte que les gens, les chasseurs, les pêcheurs, les vacanciers, cohabitent avec le lac en minimisant les dégâts qu’ils font parce que leurs chalets sont sur pilotis. Ils sont habitués aux variations de niveaux. Lorsque les étés sont secs et que la mémoire humaine oublie qu’il y a des périodes de hautes eaux, la tendance est de se dire:« Je vais fermer mes pilotis pour me faire un petit espace de rangement. ». Puis, au bout de deux ans:« Je vais me faire… Je vais me monter un solage en blocs puis comme ça ça va être plus habitable. ». Puis après ça, on creuse des fondations quelques années plus tard. Puis là, comme on a une maison et qu’on n’a plus un petit chalet sur pilotis, on décide qu’on n’aime plus ça se faire inonder. Alors, on empiète et on se met un blocage pour empêcher l’eau d’arriver sur la rive. Et au fil des années, les habitations qui ne dérangeaient personne et qui étaient en harmonie avec la nature finissent par apporter la ville à la campagne et à faire en sorte qu’on veut empêcher la nature de suivre son cours. On s’installe dans la plaine inondable et on espère qu’on ne se fera pas inonder. Et quand on se fait inonder, on se fait dédommager et on gueule pour plus de régularisation. Il y a un illogisme là qui est profond parce qu’un milieu comme le lac Saint-Pierre, il faudrait le respecter. Le développer certes, mais en étant sûr que la première priorité c’est de respecter l’environnement qu’on aime tant. Et c’est la raison pour laquelle les gens viennent ici, parce qu’ils aiment ce milieu-là.
Vous faites une bonne pêche…
Ce qui est important de considérer, c’est qu’il y ait de la variabilité qui soit maintenue pour qu’il y ait un patron naturel. Tout le monde ne peut pas gagner tout le temps à chaque année. Il y a des années qui sont bonnes pour les hérons puis bonnes pour certaines espèces de poissons. Puis, il y a d’autres années qui sont moins bonnes.Tout le monde doit au cours de sa vie reproductive y trouver son compte et puis être capable de se reproduire au moins une fois. Ça demande qu’il y ait des fois beaucoup d’eau, des fois pas beaucoup d’eau, des fois de la pluie, des fois pas de pluie, des fois des sécheresses. Ça fait partie de la vie. Au contraire, en essayant de stabiliser le régime du Saint-Laurent, ce qu’on fait petit à petit en grugeant doucement, doucement, inexorablement. C’est en stabilisant qu’on nuit au lac. La nature s’arrange très bien elle-même.