ENTREVUE DE BERNADETTE PINEL-ALLOUL
Texte intégral
Je travaille sur le lac Saint-Pierre parce que c’est un lieu privilégié pour voir la variabilité, la biodiversité de ces organismes qu’on retrouve sur le fond ou dans l’eau et en particulier dans le lac Saint-Pierre parce qu’il y a beaucoup d’habitats différents. Quand on passe de la zone littorale au large dans le lac Saint-Pierre, on change la qualité de l’eau; on change les habitats de végétation et en regardant dans ces différents habitats on trouve énormément d’espèces différentes et des adaptations différentes. Il y a des grandes différences d’une part dans la qualité de l’eau parce que dans le fleuve Saint-Laurent à partir du lac Saint-Louis où se jette la rivière des Outaouais par le lac des Deux-Montagnes et de l’autre côté on a l’eau des Grands Lacs qui nous arrive par le lac Saint-François. On a régulièrement deux masses d’eau différentes. L’une qui coule vers le nord et une autre qui coule vers le sud. Entre les deux, des zones de mélange. Dans le lac Saint-Pierre, c’est encore plus dissocié la rive nord et la rive sud parce que le chenal maritime est à douze mètres de profondeur et fait une vraie barrière entre la rive nord et la rive sud. Donc, on a des qualités de l’eau différentes. On a aussi des habitats végétaux qui sont plus ou moins différents et associés à cela on a des populations de communautés, ce qu’on appelle les invertébrés soit le zooplancton, soit le benthos qui sont très variables. Et aussi, dans la zone littorale c’est un endroit particulier pour le zooplancton parce que c’est un endroit qui leur sert un petit peu de refuge par rapport à leurs prédateurs qui sont tous les petits poissons juvéniles qu’on retrouve dans la zone littorale à la période de fraie au printemps. Alors, on a des grandes variabilités, des grandes diversités d’organismes. On les connaît très très peu encore.
La plupart du temps des gens qui travaillent dans les lacs font un échantillon dans le centre des lacs, dans la zone centrale où il n’y a pas de végétation. Ils utilisent très très peu les bords où il y a de la végétation. Ici, l’avantage au lac Saint-Pierre, c’est qu’on peut faire un transect, un suivi de la zone littorale jusqu’à la zone pélagique et voir les variations qu’on observe dans les communautés.
Le zooplancton c’est un élément très très important dans toutes les chaînes alimentaires aquatiques. Le zooplancton se nourrit des algues et les poissons juvéniles se nourrissent obligatoirement de zooplancton au moins dans leur phase de jeune poisson forme d’alevin ou de tout jeune poisson. Quand ils grandissent, ils peuvent aller chercher les invertébrés qu’on retrouve sur le fond, qu’on appelle le benthos. Ou alors après, quand ils deviennent plus gros, ils peuvent manger d’autres poissons également. Donc, c’est un élément essentiel pour le transfert de l’énergie, le transfert de la matière. Mais aussi, on s’est aperçu que le zooplancton, avec des études très poussées au niveau scientifique, c’est un élément très important pour expliquer comment les contaminants se bioaccumulent et se transfèrent des algues, de l’eau jusqu’aux poissons.
Tout d’abord, je dois dire que le niveau de l’eau varie normalement dans le lac Saint-Pierre entre la période printanière où on a beaucoup de crues et la période par exemple de l’étiage durant l’été où le niveau de l’eau baisse régulièrement. Mais on anticipe avec les changements climatiques et le réchauffement de l’atmosphère et de l’air qu’on va avoir plus d’évaporation. On va avoir moins d’eau qui va arriver dans le fleuve Saint-Laurent des Grands Lacs. Et qu’on va avoir peut-être dans les cinquante prochaines années une diminution de l’ordre de un mètre dans la hauteur du lac Saint-Pierre. Une diminution de un mètre dans la hauteur ça veut parfois signifier qu’on aura quatre mètres ou plus de zone exondée, même parfois plusieurs dizaines de mètres de zones exondées qui fait que les populations de plantes qu’on retrouve sur le bord du lac Saint-Pierre vont beaucoup changer en fonction du niveau d’eau. Il y a des chercheurs du Centre Saint-Laurent qui ont démontré qu’avec un mètre de niveau d’eau plus bas, on va avoir une prolifération de plantes émergentes. Ce sont des plantes dont on retrouve les racines dans l’eau et les feuilles, les fruits ou les fleurs à l’extérieur au détriment des plantes qu’on appelle les plantes submergées qui sont à l’intérieur de l’eau. Comme ces plantes submergées sont plus découpées au niveau de la forme, elles contiennent plus d’invertébrés qui servent de nourriture aux poissons comparativement aux plantes émergentes. Donc, on aura une biomasse de nourriture plus faible si les plantes émergentes deviennent prédominantes dans l’ensemble du lac Saint-Pierre. Puis, en plus du point de vue esthétique, le lac Saint-Pierre va devenir plutôt comme un grand marécage plutôt qu’un beau lac fluvial comme on a actuellement. Donc, c’est un problème sérieux. Je vais organiser un colloque l’année prochaine, sur « Les grands fleuves vont à la mer » où c’est entre la France et le Québec dans le cadre des « Entretiens Jacques Cartier » où on va parler des problèmes similaires qu’on rencontre dans des grands fleuves en Chine, des fleuves en Europe, en France, en d’autres pays, en Amérique latine. On va essayer de concentrer les chercheurs pour parler de ce problème. Et actuellement, il se développe des réseaux de collaboration de chercheurs qui travaillent sur les fleuves.